En premier lieu, je vous recommande la lecture du chapitre « format » du module Image Cinéma, l’un des 3 modules d’analyse filmique conçus à l’origine pour la licence professionnelle Cian, mais utiles pour tous ceux qui s’intéressent à cette matière.
Le terme « format » est polysémique; attention donc de bien préciser de quoi exactement vous parlez. En effet, on emploie aussi ce terme pour désigner les différents supports d’enregistrement et de diffusion :
Ce document ne tient pas compte des formats numériques, qui sont maintenant les plus utilisés (voir le cours sur le cinéma numérique). Mais l’image d’un disque dur ou d’une carte sd manque singulièrement d’intérêt, en comparaison avec ces bandes de celluloïd translucides bordées de perforations… non?
Revenons à la polysémie du mot format. Il est préférable, lorsqu’on parle du format dans le sens « rapport entre la largeur et la hauteur d’une image », de parler de ratio (aspect ratio), ou au moins de préciser dans quel sens on utilise le mot.
Trois principaux types de ratio coexistent au cinéma actuellement, le 2.35 (on dit aussi 2.39, ou 2.40, mais je m’en tiendrai au 2.35, utilisé aussi sur le site de référence imdb.com), le 1.85 et le 1.37 :
Il y a, bien sûr, une histoire des formats, mais ce n’est pas le propos de ce cours. Si vous voulez approfondir cette question, diverses sources existent bien sûr, j’en recommande trois : l’excellent Ciné Club de Caen, le site néerlandais Cinematographers et le site Widescreen. Une remarque sur ce point : il est important de connaître le format d’origine d’un film que l’on étudie, et de vérifier si la copie sur laquelle on travaille respecte ou non ce ratio d’origine. Et puis quelques exemples mériteraient un chapitre entier; le film de CLOUZOT par exemple, Le Mystère Picasso, qui comporte deux formats, obligeant le projectionniste à changer d’objectif en cours de projection. Voilà ce que ça donne sur la fiche du film, sur le site imdb.com :
Je préfère me concentrer sur un aspect un peu négligé dans l’analyse, et qui concerne la composition d’une image. En effet, le choix d’un ratio entraîne des conséquences importantes sur la façon dont les décors (et les corps qui les traversent) vont être représentés, c’est à dire cadrés, mais aussi plus ou moins exclus du cadre. J’ai étudié sur ce site, dans le film 2046, la façon dont Wong KAR WAÏ utilise les potentialités énormes (et parfois inattendues) d’un ratio comme le 2.35 (onglet format).
Malheureusement, il arrive trop souvent que le travail parfois scrupuleux d’un chef-opérateur soit en partie gâché par des conditions de projection inadaptées ou par un mauvais travail d’édition. Arrêtons-nous un instant (et par l’image) sur les relations tumultueuses entre format de tournage et format de diffusion (entre grands et petits écrans en général).
Prenons l’exemple du film King Kong de Peter JACKSON, tourné en 2.35 :
Rappelons au passage que ce code (2.35) représente en fait le rapport mathématique entre la largeur de l’image, que l’on divise par sa hauteur :
Les téléviseurs actuels sont au format 16/9e (soit un ratio de 1,78). Si l’on veut respecter ce format de tournage, voici comment se présente le film à la diffusion (avec des bandes noires en haut et en bas, ce qu’on appelle le letterbox) :
Malheureusement, la plupart du temps (sur les chaînes n’ayant que peu de respect pour le format original des œuvres, et préférant le plus souvent « remplir » l’écran), ce film sera diffusé de cette façon, ce qui représente tout de même 25% d’image en moins :
Ça peut poser un (gros) problème si, par exemple, le réalisateur choisit à un moment de son film de placer un élément important au bord du cadre, comme dans cette simulation :
L’effet pervers de ce recadrage (en analyse filmique, le terme désigne un mouvement de caméra – un panoramique par exemple – destiné à accompagner un mouvement ; c’est pourquoi je préfère l’anglicisme crop, qui donne cropper ou cropping), c’est que les réalisateurs (et les chefs opérateurs qui travaillent pour eux) intègrent cette donnée (une partie non négligeable des financements d’un film provient des diffuseurs télé) et n’utilisent que très rarement les bords du format 2.35. Une auto-censure esthétique en quelque sorte… On peut ainsi regarder entièrement King Kong en version « croppée », sans rien rater d’important, ce qui n’est pas le cas dans un film de Sergio LÉONE par exemple. Voici ce que donnerait, par exemple, un moment du duel final du film Il était une fois dans l’Ouest sur un écran 16/9e, ratio représenté ici par un rectangle plus clair :
On a même des versions « pan and scan » de ce genre de films rétifs à une diffusion sur petit écran : on crée alors des recadrages à l’intérieur de l’image (des scans), voir des pans (pour suivre un déplacement par exemple), de façon à permettre au téléspectateur de ne rien perdre de ce qui est « important » pour la compréhension de l’action, et au mépris de la composition initiale! Ici un court sujet diffusé sur TCM Classic Movie, dans lequel Martin SCORSESE, Michael MANN ou encore Sidney POLLACK commentent et dénoncent le procédé :
Et que dire du flux destiné aux téléviseurs 4/3 (car il en reste)?…
À ce propos, on appelle pillarbox l’effet inverse au letterbox, c’est à dire lorsqu’on diffuse un format 1.37 par exemple sur un téléviseur 16/9 :
Malheureusement, il arrive trop souvent que l’on diffuse ce type de format en anamorphosant l’image là-aussi (mais cette fois en l’étirant), de façon à remplir l’écran du téléviseur… Désespérant.
Une anecdote pour terminer. Il y a quelques années, j’ai acheté, au Maroc, la copie pirate d’un film français que je ne connaissais pas (un vcd de La Clef de Guillaume NICLOUX, réalisé en 2007). En rentrant à la maison, j’ai été très surpris de découvrir une image très sombre, tremblotante, et surtout un ratio improbable de 3.67!! Voici ce que ça donne, en comparant cette copie curieuse au ratio d’origine :
Je ne vois qu’une explication à ce radical recadrage : le film a été piraté « en salle » (la résonance du son confirme cette hypothèse), avec quelques têtes de spectateurs qui couvraient la moitié inférieure de l’image. Pour la partie gauche, qui sait… Un poteau? Un spectateur plus grand que les autres?