Virgin suicides, Sofia COPPOLA, 1999

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Introduction : située dans le dernier tiers du film, cette séquence est très représentative du film tout entier, sur le plan stylistique en particulier. Tout en métaphores et baignant dans un onirisme assumé, le film comme cet extrait semble constituer la version filmée du journal intime de l’adolescence. Tout l’extrait tourne autour d’une absente, Cécilia, la plus jeune des 5 sœurs Lisbon, qui est la première à s’être suicidée. Rappelons que c’est là le premier film d’une jeune réalisatrice littéralement née au cinéma (fille du célèbre réalisateur et producteur). Il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Jeffrey Eugenides, écrit en 1999 ; comme le film, il raconte, vu par un groupe de jeunes garçons, le suicide de 5 sœurs dans le Michigan, dans les années 70.

Structure(s) : l’extrait, d’une durée de 4 minutes, est constitué de 4 segments aux durées inégales. Le segment principal et central, qui voit les 4 sœurs s’unir pour s’opposer à l’abattage de l’arbre, représente à lui seul plus de la moitié de l’extrait et est constitué de plusieurs sous-segments (autour de l’arbre, avec les parents, arrivée de l’équipe de télévision…); il est encadré par deux scènes en intérieur (le père qui erre dans le lycée et s’adresse à des plantes en pots, et les 4 sœurs dans la chambre). Enfin, un dernier segment doit attirer notre attention : il s’agit du segment constitué d’une série de plans et d’images fixes de la façade de la maison, à différentes heures et saisons. Pur moment d’un cinéma jouissant de ses capacités propres, relevant de l’expérimentation et de la poésie, ce passage apparaît en même temps que la musique du groupe Air, lui conférant, un instant, une allure de clip. Tout comme le journal intime (objet auquel nous avons déjà fait allusion et que la réalisatrice représente parfois directement), le film s’apparente souvent à un collage, mêlant images, mots et sons, et ce dès le générique, qui annonce clairement le projet. Stylistiquement, Sofia Coppola assume clairement, et dès son premier film, qu’elle appartient à une génération nourrie de publicité et de clips (elle a d’ailleurs travaillé dans le milieu de la mode).

Lumière : L’extrait, comme le film tout entier, joue beaucoup des différents états de la lumière. Le prénom de l’héroïne (Lux, incarnée par Kirsten Dunst), la blondeur des jeunes filles, le soleil de la partie centrale de l’extrait, l’allusion à la photosynthèse, la séquence de pixilation qui enregistre littéralement la façon dont les variations de la lumière (du jour ou artificielle) modifient un objet (la façade de la maison, animée par les lumières)… autant d’occasion pour la jeune cinéaste de s’émerveiller de cette écriture de la lumière qu’est le cinéma, avant sans doute d’être une écriture du mouvement. On a sans doute raison d’y voir, parfois, une certaine gratuité, le geste d’une jeune artiste peu soucieuse des conventions. J’y vois beaucoup de grâce, et un hymne au monde particulièrement spirituel (Cécilia, la jeune sœur déjà suicidée à ce stade de l’histoire, était très croyante).

Cécilia : à ce moment du film, les 4 sœurs encore en vie sont littéralement cloîtrées à la maison, Lux venant de découcher. Elles apparaissent soudain à l’extérieur, en plein jour et en chemises de nuit, telles de jeunes vierges enchaînées (le livre sur lequel repose le petit aquarium de la fin est Sacred well of sacrifice de Bamman Whitehead, le «puits sacré du sacrifice», dans lequel les Mayas sacrifiaient de jeunes vierges). Revenons au moment central de l’extrait; on peut voir une tâche blanche sur le tronc : il s’agit d’un pansement de plâtre (ces ormes sont malades) sur lequel Cécilia avait posé sa main, laissant son empreinte en creux, comme la porte de sa chambre était plutôt ornée d’une photocopie de sa main ouverte). Pour ses sœurs, couper cet arbre, c’est faire disparaître Cécilia un peu plus. Sofia Coppola file la métaphore d’un corps disparu incarné par un arbre (comme certains peintres renaissants, qui représentaient, de façon équivalente voire interchangeable le corps du Christ ou un arbre). Un peu plus loin, c’est la silhouette d’une voisine arrosant son jardin qui prolonge littéralement un arbre dont il ne reste qu’une base tronçonnée. Un pneu/balançoire, accessoire de l’enfance (qui s’en balance) maintenant tombé et inutile. Ou encore 4 arbres marqués de rouge, destinés à être abattus, préfigurant le quadruple suicide à venir. L’extrait prolonge la métaphore végétale en mettant en scène une analogie fille/plante.

Conclusion : Rapprochons pour finir les deux scènes d’intérieur qui encadrent l’extrait : on voit bien comment, d’une part, le père s’adresse à ces plantes alors qu’il ne parle plus à ses filles, ne sachant même plus où elles sont; des plantes qui, au passage sont comme Lux à la fin, qui fait elle aussi sa photosynthèse au bord de la fenêtre. On voit comment, d’autre part, Lux joue du bout de ses doigts avec des algues artificielles qu’elle finit par briser. La prolepse est très claire : elles finiront sans air ni lumière, au bout d’une corde ou étouffées par les gaz d’échappement.