Le Seigneur des Anneaux 2, Peter JACKSON, 2002

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Introduction : séquence en “extérieur” nuit. Une fois de plus, cette séquence, si elle est sensée se dérouler la nuit, au milieu d’une petite clairière baignée par la lumière lunaire, n’a, à plus d’un titre d’ailleurs, (presque) rien de naturel. Paradoxalement, c’est ici le personnage de Gollum qui semble le plus naturel, et pour cause, nous le verrons.

La structure de cet extrait est des plus simples : après une ouverture sur les deux héros endormis, le poing de Frodon (Elijah Wood) serré sur l’anneau, un travelling arrière permettra de se focaliser sur Gollum, installé sur un promontoire qu’il quittera à la fin, suivi par la caméra, s’approchant de nouveau des deux héros. Entre ces deux mouvements en miroir, une série de travellings circulaires, de champs contre-champs et de légers mouvements de recadrages sur Gollum, filmé du plan moyen au gros plan.

Le décor, baigné dans une lumière bleue évoquant la lumière lunaire, représente une petite clairière, refuge provisoire de la troupe. Au milieu de cette clairière, Gollum trône sur une dalle, à l’abri des vestiges d’une architecture en pierres, avec l’amorce d’une voûte. Ces vestiges fonctionnent vraiment comme une mini scène, une estrade théâtralisant cette véritable crise de dédoublement de la personnalité.

La question du point de vue est ici très subtile. En effet, Peter Jackson prend le risque de représenter un monologue, en utilisant un code usuel du dialogue, qui est le champ contre-champ. Le risque est grand (en particulier pour les jeunes spectateurs auxquels ce film s’adresse aussi) de laisser penser qu’il y a vraiment deux Gollum à cet instant précis. Peter Jackson utilise le premier échange entre les deux “personnalités” pour installer cette situation dramatique peu ordinaire : le quatrième plan représente en effet les deux faces du même personnage par un court travelling circulaire (aller, puis retour) centré sur Gollum, mais qui permet clairement de relier, sans coupure, les deux axes qui serviront ensuite dans le champ contre-champ. De cette façon, le spectateur est dans la confidence : Gollum se parle à lui-même, par le truchement de la “caméra” elle-même. Le regard est ici presque dans l’axe, ajoutant encore à notre inconfort d’assister à ce monologue de « désaxé ». Une focale large est “utilisée” (simulée en fait, n’oublions pas qu’il s’agit d’une caméra virtuelle), pour transfigurer Gollum le mauvais, accentuant le caractère monstrueux de sa métamorphose, qui devient alors presque physique. La musique (véritable partition fleuve, ne s’effaçant que très rarement, Laurent Jullier parle de « film concert ») reviendra à cet instant précis, amplifiant la détresse de Gollum le bon, assumant alors pleinement sa fonction empathique.

On ne peut pas analyser cette séquence sans parler de ce qui fait sa spécificité, à savoir la représentation d’un personnage virtuel, d’autant qu’à ce sujet la trilogie de Peter Jackson fera date. L’exceptionnel réalisme de Gollum est certes dû aux évolutions d’une technologie qui nous empêchera, dans quelques très courtes années, de faire la distinction, au cinéma, entre un acteur de chair et un acteur virtuel. Mais il est surtout dû au fait qu’une partie non négligeable du personnage n’est pas du côté de l’imitation du réel, mais bien de son enregistrement. L’acteur Andy Serkis a en effet prêté sa gestuelle et ses mimiques au personnage, ces mouvements étant captés par des caméras sophistiquées et simplement repris par les logiciels de représentation en trois dimensions, en particulier pour cette séquence, comme l’avère un bonus fameux du DVD (ce qu’on appelle « motion capture », ou, sous une forme plus sophistiquée, « performance capture »). La voix, bien évidemment, renforce encore cette impression de réalité si troublante et si spectaculaire ici.

En conclusion, si l’enjeu est ici celui d’un combat intérieur qui se trouve extériorisé par la mise en scène, la véritable lutte se situe ailleurs, entre réel et virtuel. Le personnage de Gollum nous touche par ce qu’à travers lui Andy Serkis nous transmet : de l’émotion avant tout, les pixels prenant chair (ce que j’appelle « e-motion capture »:).