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Introduction : séquence de repas : un faisan s’y délecte de fourmis noires. Comme toutes les séquences du film, elle fonctionne de façon autonome, véritable court-métrage dans le film. Cette séquence, nous allons le voir, relève d’une écriture (scénario, tournage, montage, mixage) reproduisant très clairement les canons de films de genre (films de monstre par exemple), et donc se démarquant très nettement de l’écriture traditionnelle du documentaire animalier.
Le récit s’organise de façon très basique, et la structure de l’extrait assoit son autonomie. Cerné par des couples de plans jumeaux (la prairie comme contexte, mais aussi l’arrivée et le départ du faisan, représenté par son ombre), le repas est décrit lui-même en trois temps : au centre, le cercle (œil puis trou), encadré par deux scènes elles aussi jumelles, et qui représentent le faisan occupé à prélever des fourmis qui s’affairent, à la surface de la terre, sans prendre conscience du carnage qui s’opère à leur dépend. Il y a donc une véritable symétrie de la structure, révélant une écriture forte.
La musique renforce ce sentiment d’avoir affaire à un récit organisé plus qu’au simple enregistrement du réel. Bruno Coulais a composé, d’après les images, une musique symphonique “collant” souvent parfaitement au rythme et à l’intensité de l’action décrite. Elle fonctionne comme un commentaire poétique et plurivoque (commentaire absent de ce film, sauf dans la séquence d’introduction), souvent selon le principe du mickeymousing, épousant de façon symbiotique les mouvements des personnages et le rythme de l’action. Facteur de continuité et d’unité, elle est connotative lorsque la petite cloche sonne l’heure du repas au début du troisième plan, en contre plongée sur le faisan (n’oublions pas que le film est sensé se dérouler sur une journée, et qu’ici, en son milieu, est représenté le repas de midi, d’où le soleil au zénith dans le premier plan), connotative aussi lorsqu’à la fin le chant d’un enfant renvoie à la fois à l’innocente cruauté de l’enfance en même temps qu’à la figure de l’ange, sur laquelle nous reviendrons. Elle est empathique enfin lorsqu’elle traduit la violence de la scène : les violons stridents semblent déchirer comme des becs, les timbales sourdes écrasent les fragiles fourmis de leurs pattes de géant, le tout amplifiant le drame qui se joue. N’oublions pas qu’une grande partie de ce film est en fait un travail de re-création (souvent en studio) : concernant les bruits par exemple, les sons entendus ne sont pas que rarement produits par les animaux ou insectes représentés. C’est même l’exception dans ce film. Il s’agit d’un travail de « bruitage » au sens traditionnel du terme : on « recueille, reconstruit ou imite » les bruits destinés à être assemblés dans la bande sonore du film.
Points de vue, échelles, axes de prise de vue sont ici très variés : la méthode employée s’apparente là encore davantage à la fiction. Le faisan, en particulier, est filmé “sous toutes les coutures” : du plan d’ensemble horizontal à l’extrême gros plan sur l’œil, en plongée ou en contre-plongée verticale, représenté tour à tour par son bec, une de ses plumes ou sa patte, il est décrit, décomposé quasi scientifiquement, avec le soucis du détail mais sans volonté exhaustive. Les scientifiques Nuridsany et Perennou se font ici artistes, préférant la force d’une évocation luxuriante à la laborieuse et complète description du biologiste. (Vous pouvez voir en pdf le découpage complet de cette séquence).
On le voit, il serait naïf de ne voir ici que le récit objectif du repas d’un faisan. Les modalités de la narration nous incitent plutôt à envisager cet extrait sous l’angle d’une métaphore nettement plus ambitieuse. C’est pourquoi d’ailleurs, dans le cadre du Capes, nous avions associé cet extrait à l’œuvre de Hans Memling, Le Jugement dernier, peint en 1473. Je n’oublie pas (à les lire et à les écouter) que Nuridsany et Perennou se démarquent clairement et systématiquement d’une morale chrétienne standard (il n’y a pas de « bonnes » et de « mauvaises » fourmis par exemple). Comme le dit Nuridsany, c’est plutôt l’idée du « fatum », d’une nature dominée par un destin irrévocable qui les intéresse. Il n’en reste pas moins que la séquence proposée présente des analogies formelles et thématiques nombreuses avec l’œuvre de Hans Memling. Pour résumer, deux entités d’échelles très différentes sont dans les deux cas confrontées : l’une, céleste, ailée, colorée, debout, attaquante, s’inscrivant dans des cercles, du côté du pouvoir et douée de la capacité de voir, l’autre terrienne, grouillante, rampante, monochrome, dominée, liée à la terre et aux trous, comme inconsciente ou résignée. La composition de l’ensemble (uniquement spatiale chez Memling, spatiale et temporelle dans Microcosmos) s’appuie nettement sur une bipartition ciel/terre amplifiant les différences fondamentales de nature entre les deux entités représentées. La plume est alors à comprendre comme la trace ou la preuve inexplicable (pour les fourmis) d’un passage. C’est ce qu’on appelle aussi un « attribut », qui permettait, au Moyen-Âge par exemple, pour des spectateurs illettrés, de reconnaître un personnage, en définissant sa nature ou sa fonction (La Roue pour Sainte Catherine, Le Lion pour Saint Jérôme…).
En conclusion, et c’est à mes yeux tout l’intérêt de ce film, Microcosmos, qui semble à première vue décrire le règne animal, propose en fait un ensemble de paraboles et de métaphores nous permettant de nous situer et de nous questionner sur la place de l’homme dans le monde.