Introduction : séquence en intérieur nuit. Elle constitue une articulation forte, à l’échelle de la totalité du récit : Michel, incarné par Laurent Lucas, se met à écrire. C’est le moment d’un basculement et d’une révélation, il n’est donc pas anormal que la lumière et son corollaire, l’obscurité, y tiennent un rôle primordial, comme à l’origine de la création.
Structure : extrait organisé en trois parties, articulées par un fondu enchaîné (entre un œuf et le haut du corps de Prune, incarnée par Sophie Guillermin) et par un cut (entre le visage de cette dernière et le titre écrit en très gros plan). La dernière partie, qui fait plus de la moitié de l’extrait, est elle-même coupée par un insert (un plan d’ensemble en extérieur nuit sur la maison borgne). Enfin l’extrait est clôturé par deux portes (celle du frigo que Michel ouvre, celle qu’il entend à la toute fin).
Narration : la fonction principale de cette séquence est de mettre en scène l’indicible mise en mouvement de l’acte créateur, de l’inspiration qui mène à l’écriture. À l’instar de l’expérience fameuse de Koulechov, les images interagissent comme dans un rébus, un enchaînement organisé qu’il convient de déchiffrer. On le voit, le processus même de l’écriture – littéraire, cinématographique – est en jeu.
Le point de vue s’incarne clairement en Michel, dont le regard est ouvertement représenté dans la première et la seconde partie, par un jeu d’alternance entre regard et objets regardés. Dans la troisième partie, il s’agit davantage d’explorer ce qui émane d’un crâne (d’œuf?) dont on s’approche lentement, comme pour le sonder. La lumière y jaillit de multiples façons : elle permet au tout début de l’extrait d’abolir le noir, pour envahir l’écran lui-même au début du troisième segment, à la fois page blanche et aveuglant monochrome.
La musique extra-diégétique, lancinante, rythme la première partie de l’extrait, le montage s’accordant rythmiquement sur les changements de mesures. Le grésillement du néon et le son du stylo parcourant les feuilles habitera l’espace sonore de la seconde moitié, avant que le son d’une porte ne sorte Michel de cette véritable et mystérieuse transe. La musique revient sur le plan fixe de la maison, toujours lancinante, mais avec un caractère plus inquiétant, du fait des pizzicati des violons (réminiscence de la musique de Bernard Herrmann pour une célèbre scène de douche?).
Les objets et les formes simples prennent ici une place très originale, et leurs valeurs symboliques est essentielle. Il y a d’abord l’œuf, forme primordiale qui donne son titre au roman que Michel s’apprête à écrire, et symbole de la promesse d’une nouvelle vie. Prune, d’ailleurs, très prochaine victime dans le film, semble un instant s’y lover, le temps du fondu enchaîné déjà évoqué. Il y a ensuite la lumière, véritable incarnation, très mystique, du jaillissement d’une logorrhée (diarrhée verbale ici silencieuse) qui trouve en ces toilettes sa place naturelle. Le papier maculé s’accumule au sol. La forme même du néon (une croix) et la citation presque littérale de la toile de Magritte (L’Empire des Lumières) nous autorise à concevoir cette séquence comme le moment d’une illumination, ordonnancement du chaos (Fiat lux!). Par l’entremise de Prune, cette lumière est bien-sûr l’éveil du désir lui-même, car il y est question d’engendrement (de l’écriture, du verbe). N’oublions-pas qu’Harry, incarné par Sergi Lopez, associe, dans une autre séquence fameuse du film, l’œuf à l’acte sexuel lui-même.
Conclusion : cette séquence sans parole n’est donc pas sans verbe. Il s’y trouve même représenté, offrant au passage une figuration très originale d’un intertitre se constituant sous nos yeux en abolissant la pureté immaculée. Les mots qui envahissent l’écran sont là pour renseigner le spectateur interloqué par le mystère de ces enchaînements visuels. Le spectateur devine bien qu’ils constituent un message à décoder, dont on aura compris le caractère divin.