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Introduction : analyse et méthodologie    


Vous trouverez dans cette section consacrée à l’analyse du film Des Hommes et des Dieux  :

  1. cette courte introduction, destinée à définir les contours et la philosophie générale de cette approche analytique et méthodologique

  2. une description dynamique de la structure du film associée à un certain nombre de constats sur sa composition, tant sur le plan sonore que visuel

  3. quelques analyses de scènes décrivant les rituels, que j’appelle les scènes régulières, en opposition aux scènes rompant avec la routine (les scènes singulières, et qui pourraient faire l’objet d’une autre étude, plutôt centrée sur les exceptions que sur les règles).

   

Ces quelques documents, à visée analytique, n’ont donc pas pour ambition de mettre à jour l’ensemble des mécanismes à l’œuvre dans le beau film de Xavier Beauvois. Le parti pris est le suivant: puisque le film fait la part belle à des séries de scènes semblables (c’est une caractéristique très spécifique de l’œuvre), j’ai choisi d’en étudier quelques-unes, afin de mettre à jour, une fois le système mis en évidence, quelques-uns des écarts que s’autorise le cinéaste. Il s’agit par ailleurs d’essayer de donner l’envie - et quelques moyens - de prolonger la recherche et la réflexion sur ce film profondément humaniste et inspiré. C’est donc également dans une perspective méthodologique que j’ai conçu cette approche analytique interne 2 du film de Xavier Beauvois. Je ne reviendrai que ponctuellement aux questions culturelles ou historiques que le film pose de façon toujours pertinente, ayant choisi d’appliquer au film une lecture résolument plastique. Je considère en effet l’œuvre cinématographique comme un ensemble complexe de formes visuelles et sonores, formes régissant son organisation interne (la structure générale du récit), mais aussi formes ponctuelles jouant des rimes ou des effets de contraste. Il est des œuvres filmiques qui rivalisent avec la forme poétique, qui préfèrent la suggestion et le détour aux jugements péremptoires et définitifs. Le film de Xavier Beauvois est de celles-là.

J’ai d’abord découvert le film en salle, dans les meilleures conditions possibles 3, c’est-à-dire, selon mes critères, sans rien lire sur le film et en essayant tant bien que mal d’échapper aux bandes-annonces ou autres recommandations. C’est une façon d’accepter de se constituer prisonnier d’une œuvre brute et presque parfaitement étrangère. Je savais bien sûr que Beauvois avait obtenu le Grand Prix à Cannes, je me rappelais aussi l’histoire des moines de Tibhirine, et je connaissais tous les films du cinéaste, que j’admire depuis le sombre et magistral Nord. Une question me taraudait avant d’entrer en salle, qui est celle du point de vue : de quelle façon traiter un tel sujet lorsqu’on est athée 4 ? Je trouvais la réponse du cinéaste inspirée, lumineuse et bouleversante. Lorsqu’on m’a demandé, quelques mois après, de travailler sur ce film pour la collection « à-propos », j’ai pensé qu’il était temps de chercher à répondre à cette question et à quelques autres.

Alors qu’on venait de lui remettre le César du meilleur film de l’année, Xavier Beauvois a fait une déclaration qui résonnait avec cette question et avec les réponses que je commençais à lui apporter. Il a en particulier rappelé la devise de notre République, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Je prenais alors conscience que cette devise était toute entière contenue dans le pluriel le plus audacieux du titre : le film de Beauvois, ce sont des Hommes, bien sûr, mais surtout des Dieux. Un pluriel à la fois infime et capital, en rien polythéiste, mais prônant avec courage ce qui manque cruellement aux hommes parfois pour leur permettre de vivre en harmonie : le respect de la différence. Cette célébration de la pluralité s'exprime - mais pas seulement nous le verrons - de façon très plastique dans le film, grâce au travail de Caroline Champetier qui en a signé la photographie. Lorsqu’elle éclaire par exemple de différentes façons les 14 scènes à l’intérieur de la chapelle du monastère, son travail n’est pas sans rappeler celui de Monet lorsqu’il peint inlassablement la cathédrale de Rouen, à différentes heures de la journée, rendant compte lui aussi de l’infinie variété des lumières et des couleurs 5.


2/ L’analyse interne ignore (ou fait semblant d’ignorer) les liens entre l’œuvre étudiée et les autres œuvres du cinéaste. Elle ignore aussi les liens avec les œuvres ayant traité de ce sujet en particulier pour se concentrer sur le film tel qu’il est projeté ou diffusé. Les compléments disponibles sur ce DVD-ROM permettent heureusement (nous y ferons allusion) des approches complémentaires indispensables.

3/ On néglige trop souvent d’évoquer les conditions dans lesquelles l’œuvre étudiée (au lycée ou à l’université) va pour la première fois être montrée, à un public par ailleurs confronté à de très nombreuses images, dans un contexte (celui de l’écran, qu’il soit d’ordinateur, de téléphone portable ou de cinéma) favorisant la vitesse et la nouveauté. Le film de Xavier Beauvois faisant plutôt la part belle au silence et aux rituels immuables (ou presque, nous le verrons), il est plus que jamais nécessaire de le projeter, la première fois, dans des conditions optimales, c’est-à-dire sur grand écran, dans l’obscurité et le confort d’une salle bien sonorisée.

4/ J’ai depuis découvert que Caroline Champetier s’est posée une question semblable, comme elle le déclare dans un entretien déjà cité : « Ce qui m’a fait réfléchir, c’est d’abord le fait que Xavier s’intéresse à un sujet si loin de lui. Je me suis immédiatement questionnée sur son engagement dans un film qui, s’il n’est pas «religieux», parle d’une «aventure religieuse» et de la foi. » (Magazine en ligne « Actions », sur le site de Kodak).

5/ « En accord avec Xavier, nous devions être très attentifs à la lumière naturelle du monastère. Dans la chapelle, il y a des moments où l’on travaille avec elle, comme Nestor Almendros le raconte pour La Marquise d’Ô, j’ai fait des repérages heure par heure dans chaque lieu. C’est toujours très enthousiasmant de se servir de la lumière naturelle, de tenter de la dompter. », Caroline Champetier, entretien en ligne sur Afcinéma, site professionnel dédié à la photographie de cinéma. (http://www.afcinema.com/Entretien-avec-la-directrice-de-la,6278.html)

Analyse du film Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois, 2010index.html