Accueil critique
• Très bon accueil critique à Cannes (alors que deux de ses derniers films, Conte d’hiver en 1992 et Rendez-vous de Paris en 1995, avaient été assez mal reçus). Conte d’Été sera aussi très bien reçu dans de nombreux pays (il sort dans plus de 20 pays), et est sélectionné dans les festivals de Toronto, Singapour, Buenos Aires… Il fera plus de 300 000 entrées France, en faisant un des plus grands succès de ROHMER (avec Les Nuits de la pleine lune, Le Rayon vert, l’Ami de mon ami et Conte d’automne), et surtout sa plus grande réussite financière avec Le Rayon vert (plus de 400 000 entrées). C’est important, puisque c’est cet équilibre financier, toujours recherché par ROHMER, qui garantit sa liberté artistique (ROHMER faisait des films pour la moitié, souvent moins, du budget d’un film français équivalent).
• Il faut absolument voir ROHMER montrer à Jean DOUCHET, dans l’entretien réalisé par LABARTHE, le matériel qu’il utilise pour la lumière de ses films : quelques calques, deux «Mandarines» de 800 watts chacune, un tube de 1000 watts, et un carton à dessin tapissé de papier aluminium, qu’il a lui-même confectionné. L’économie de moyens n’est, ici, pas une simple expression; les élèves des classes de spécialité «Cinéma et audiovisuel» disposent de plus de moyen que ce cinéaste vénéré dans le monde entier...
• Rapidement, les critiques inscrivent le film Conte d’Été dans une « série » estivale et transversale dans l’œuvre de ROHMER, qui va de La Collectionneuse (1967) à Conte d’Été (1996), en passant par Le Genou de Claire (1970), Pauline à la Plage (1983) ou encore le Rayon Vert (1986).
Générique
• Il est vraiment frappant de constater, d’abord, à quel point les cartons du générique de début de Conte d’Été ressemblent à une couverture de roman. C’est encore plus flagrant si l’on superpose les deux cartons du réalisateur et de la série, et celui du titre.
• Rappelons que le cinéaste a été enseignant de Lettres, qu’il a publié un roman, et qu’il n’a jamais cessé d’écrire. Cette connivence graphique, au début du film, n’est pas anodine. Elle installe d’emblée le spectateur dans une posture particulière, tout en situant le récit dans un entre-deux troublant. Pour reprendre le titre d’un fameux ouvrage de Francis VANOYE, la promesse est ici celle d’un «récit écrit, d’un récit filmique».
• ROHMER, toute sa vie, a écrit des bribes de récits, des débuts d’histoire, de romans, qu’il a consigné dans des petits cahiers d’écolier. Ainsi, Conte d’Été part de souvenirs personnels et d’éléments de dialogues notés 50 ans avant le tournage (lorsque ROHMER avait l’âge des protagonistes).
P45 ANGER : « J’ai toujours écrit mes films en deux fois. Une première fois où mon histoire est écrite dans ses grandes lignes, mais elle n’a pas de corps et reste très fluette. Pas abstraite, mais un peu élémentaire. Pour lui donner consistance, j’ai besoin de connaître les comédiens et les lieux. »
Lieux
• ROHMER, qui ne tourne pas en studio (sauf exception, pour Perceval par exemple), s’inspire des lieux réels. Ainsi, les préparations et repérages sont décisifs. Il ne prépare pas de découpage technique : c’est sur le tournage qu’il détermine la combinatoire des points de vue (il privilégie le corps entier et l’action complète, et découpe peu). Pour ce qui est de Conte d’Été, deux choses l’intéressent particulièrement : le chemin des douaniers et les plages à marée basse. Il a utilisé un chariot à pneu large, qui permettait de suivre les comédiens sur de longs trajets (il parle de 1km dans certains entretiens, de 2km dans d’autres). Vous pouvez voir, dans ce premier extrait du film La Fabrique du Conte d’Été de Françoise ETCHEGARAY et Jean-André FIESCHI, à 3mn30 du début du fichier, ROHMER pousser lui-même le chariot en question, sur la promenade principale de Dinard.
• Le film a été tourné de mi-juin à début juillet, de façon à ne pas « affronter » trop de touristes. Les scènes où la plage est bondée, scènes qui contrastent avec les ballades assez solitaires sur le chemin des douaniers, ont été tournées le week-end.
P64 CLÉDER : Amanda LANGLET : « Tout est préparé, pour Conte d’Été surtout, car pour tourner sur la plage, il y avait le problème de la marée tout bêtement… Entre le bruit de la mer qui monte ou qui descend, il faut se dépêcher pour faire une prise. Donc, il est arrivé qu’on répète la veille, à la même heure, et qu’on voie comment cela se passait… Alors là, il y avait une dolly, une grande planche à roulette, avec la caméra posée dessus, Éric poussant la dolly… et nous marchions et répétions tous les mouvements la plupart du temps en un seul plan… Et le lendemain, la scène était tournée en une prise ou deux… Parfois même, il n’y a eu qu’une prise, pour certaines scènes, parce que ce n’était pas possible de la faire deux fois, tout bêtement. » Plus loin : « Il faut bien penser que la plage est parcourue par des gens, on se débrouille, on passe entre les gens. »
Références, thèmes
• Le cinéma de ROHMER s’intéresse particulièrement à la séduction, au badinage façon XVIIIe siècle (MARIVAUX, CHODERLOS DE LACLOS), et MUSSET au XIXe avec « On ne badine pas avec l’Amour » par exemple. ROHMER s’intéresse plus rarement au libertinage, en tout cas pas dans Conte d’Été (davantage dans Pauline à la Plage ou dans L’Ami de mon amie par exemple). Ici en effet, comme le dit Solène à Gaspard, on ne « couche pas le premier soir».
• Pour revenir au badinage, on parle, dans Conte d’Été, un langage plutôt soutenu… voire désuet (« la bagatelle », « petite amie », « coquin », etc…). C’est sans doute lié au fait que l’histoire a, je le rappelle, été écrite vers... 1940!
• ROHMER, dans l’entretien déjà cité (pour la série « Cinéma, de notre temps », en mai 1993, Éric Rohmer, preuves à l’appui), évoque plutôt COURTELINE, les allemands de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (et surtout les philosophes KANT, HEGEL, MARX), mais aussi SHAKESPEARE et les romanciers anglais. Et la musique, en particulier allemande (BEETHOVEN en premier lieu). Il se dit peu marqué par le jazz.
• La particularité de Conte d’été, c’est d’être centré sur un personnage masculin (contrairement aux trois autres Contes), présent dans toutes les séquences du film, incarnant, dit BARNIER (p92) une « figure de masculinité en crise. » Une figure qui – dit-il - se distingue par sa passivité (c’est assez discutable…), face à des personnages féminins marquant leur ascendant sur lui (p97). BARNIER néglige sans doute un peu trop le personnage de Margot, lui aussi très central (le premier et le dernier personnage que croise Gaspard), et celui qui exprime à son endroit des sentiments amoureux. Conte d’Été est aussi un film sur Margot (un peu moins sur Solène, et encore moins sur Léna) et ses hésitations au sujet de Gaspard, qu’elle embrasse à plusieurs reprises.
• Conte d’été revient souvent (comme d’autres films de ROHMER) sur l’écart entre amour et amitié, et sur le rôle de la sexualité et du désir dans les relations.
• Il y est question du hasard, thème résumé par Margot dans une très belle formule : « l’habitude du hasard, c’est joli comme formule ».
P81 BARNIER : Dans un chapitre intitulé « l’habitude du hasard » (formule prononcée par Margot le 21 juillet), BARNIER rappelle que les discussions philosophiques ont une grande importance dans les films de ROHMER (on pense bien sûr au Conte de Printemps et à son personnage central d’enseignante de philosophie). Mais ici les deux protagonistes principaux sont des philosophes amateurs (ou qui s’ignorent) qui ne citent jamais un auteur, penseur ou philosophe, alors qu’ils parlent de questions aussi importantes que « du libre arbitre, du hasard, de la conscience de soi, de l’altérité, du rapport de l’individu au social.»
• Il y a aussi le thème de « l’Eldorado », représenté par l’île d’Ouessant, dont les protagonistes parlent régulièrement (Gaspard a finalement proposé à chacune des trois filles d’y aller avec lui). Sujet sur lequel nous reviendrons, bien sûr! (ROHMER est une île, gardons-le en tête :-)
Acteurs
• Concernant les acteurs, ROHMER recevait de très nombreuses lettres de jeunes acteurs désireux de tourner avec lui (en grande majorité des jeunes filles). Avant un tournage comme celui-ci, il ouvre certaines de ces lettres, regarde les photos, et donne donc quelques coups de téléphones, mais se décide vite, le plus souvent sans faire d’essai. Pour le rôle féminin de Margot, il reprend Amanda LANGLET, qui avait été la Pauline de Pauline à la plage, en 1983, soit 13 ans plus tôt.
• Amanda LANGLET est d’ailleurs la première contactée, l’une des premières au courant du projet, un an avant le tournage.
• La méthode ROHMER (P36/38 ANGER), ce sont de longues conversations ; il crée une intimité, entre lui et ses acteurs, et entre ses acteurs et leurs personnages. En les écoutant, sur de longues périodes, il construit les personnages qu’ils vont jouer. De cette façon, il devient difficile de déterminer qui influe l’autre. ROHMER trouvera assez vite les autres actrices du film.
• Quand il trouvera enfin Melvil POUPAUD (Gaspard), présenté par Arielle DOMBASLE, il se décidera à construire un récit autour d’une chanson, car Melvil est musicien. La chanson du film a été composée dans les bureaux du film du Losange (ROHMER pianotant un début de mélodie, la monteuse, Mary STEPHEN, également pianiste, développant le thème et le transcrivant pour la guitare de Melvil POUPAUD). Ailleurs, ROHMER dit que c’est « Melvil POUPAUD » qui a composé les chansons du film (alors que le générique crédite Philippe EIDEL pour la chanson du Terre-Neuva et un certain Sébastien ERMS pour La Fille de Corsaire (EricRohmerMaryStephen) ; pas de crédit pour Hugues AUFRAY, dont on chante pourtant Santiano).
• Ensuite, ROHMER fait faire quelques lectures à ses comédiens. Il redoute par dessus tout les dialogues murmurés, inaudibles. Il arrive qu’il fasse dire les dialogues à Melvil POUPAUD en particulier (il exige que ses acteurs connaissent les dialogues par cœur) en mettant de la musique assez fort, de façon à le forcer à articuler et à pousser sa voix, qu’il trouvait un peu faible.