Puisqu’il est question d’écrire sur le film musical, et plus particulièrement sur les jeux du désir, il me faut faire un aveu : longtemps, je me suis ennuyé devant les films en chanté.


Et puis, en 1992, Varda est venue à Rennes avec sa bobine sous le bras, celle des Parapluies restaurés. Dès les premiers plans, le charme opérait. Je ne résistais plus : couleurs et sons m’emportaient, sans ménagement. La neige qui tombait sur la scène finale n’était plus celle-là, gravée par le temps sur la pellicule : elle circulait librement dans la salle. L’eau coulait sur mes joues lorsque les lumières se sont rallumées. Varda avait restauré la pluie1.


Le film de Demy ne se soumet pas vraiment aux lois d’un genre qui se propose d’alterner parole chantée et parlée : il fait plutôt de la parole un chant. Demy déclara d’ailleurs être « parti des Marseillais qui chantent quand ils parlent 2». Legrand travaillera dans cette direction et, après quelques errements et difficultés, parviendra finalement à cette partition hybride magnifique, à la limite, souvent, du parlé et du chanté.


    Pour être sincère, je continue d’être moins sensible aux films musicaux proprement dits, qui isolent trop nettement des séquences qui s’apparentent à des numéros. Voilà pourquoi j’ai choisi d’évoquer un film qui célèbre à sa façon les noces subtiles du chanté et du parlé, sans pour autant être un film musical3. Parce que le film de Demy m’a appris à écouter différemment la parole parlée, je m’intéresse à la prosodie des langues. Je suis sensible au rythme, à l’intonation affective, au ton, à l’accent, à la durée d’un mot ou d’une phrase4. Appelons cela le ballet indécis d’un « entre-deux » émouvant, la parole frôlant le chant, pour l’approcher et le séduire. Nous ne nous étonnerons pas de trouver uniquement, dans cette étude, des exemples de films étrangers, en particulier anglophones. D’abord parce qu’il est évidemment plus aisé de se départir du sens d’une langue qui n’est pas la sienne, ensuite parce que la langue anglaise, langue de l’accent libre, est très « musicale », couvrant une plus large tessiture que le français.



1 Jean-Pierre Berthomé avait, lors des cours de cinéma qu’il prodiguait alors dans l’université que je fréquentais, bien préparé le terrain de cette réconciliation.


2 Entretien avec Jean-Pierre Berthomé.


3 D’autres diront « comédie musicale », expression que je réserve à ces spectacles théâtraux, très en vogue ces dernières années, qui marient eux aussi, parfois pour le pire, danses, textes et chants.


4 Comme je suis sensible aux mouvements qui s’aventurent vers la danse, sans en être vraiment.

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